jeudi 10 mars 2011

La question de la finalité

source : http://vidberg.blog.lemonde.fr
- Qu'est-ce que tu fais?
- Je révise.
- Pourquoi?
- Pour avoir une bonne note à mon examen.
- Pourquoi?
- Pour valider cette matière et passer en troisième année.
- Pourquoi?
- Pour pouvoir obtenir mon diplôme d'ingénieur.
- Pourquoi?
- Pour avoir l'assurance d'être respecté à ma juste valeur et d'avoir un emploi rémunérateur.

Voilà le discours général que tient un ingénieur en formation. Il arrive assez souvent que cet étudiant sèche les cours qu'il jugerait inutiles pour avoir plus de temps pour réviser et plus de temps pour lui. Il cherche naturellement à maximiser le retour sur investissement, c'est à dire à maximiser sa note en minimisant le temps qu'il a consacré à son travail.

Son intelligence et son esprit d'initiative s'expriment à travers les diverses combines mises en places. Il faut de l'imagination pour inventer une excuse pour sécher tel cours qui tombe la veille d'une épreuve qu'on n'avait pas anticipée. Il faut faire preuve de persuasion et bien faire fonctionner son réseau pour obtenir les notes de l'élève sérieux qui suit consciencieusement les cours (et a souvent de moins bons résultats que ses camarades moins honnêtes, puisqu'il a moins de temps pour réviser). Et finalement, gloire à celui qui saura pronostiquer les exercices qui tomberont pour se contenter de les réviser dans les annales passées d'année en année des parrains aux filleuls. A quoi sert de comprendre lorsqu'il suffit d'apprendre?

Ce système dévoyé qui valorise la roublardise et l'hypocrisie intellectuelle convient très bien aux étudiants comme aux professeurs. Il est assez facile de corriger des examens qui se ressemblent tous, où l'élève apporte peu de valeur ajoutée, et de mettre des bonnes notes pour éviter de fastidieux rattrapages (les élèves peuvent souvent passer autant de rattrapages que nécessaire, même dans les établissements les plus côtés).

N'est-il pas temps de faire cesser cette mascarade comme proposé sur le brainstorming?
"Supprimer les examens en école d'ingénieur" - Lorent

"Mais si on fait ça, ils ne feront même plus semblant de travailler!" se dit le directeur de l'école. Entendons nous sur le sens de travailler : agir, se consacrer à une tâche pour obtenir un résultat. La question que l'on peut se poser est bien celle du résultat à atteindre. Celle de la finalité.

Si le résultat voulu est que les ingénieurs aient des bonnes notes alors le système actuel est presque idéal. Cela ne semble pourtant ni souhaitable, ni souhaité. Les jeunes ont des aspirations. Ils veulent donner un sens à leurs actions et se sentir utiles. Cette volonté se retrouve dans les nombreuses allusions aux projets et à la vie associative. Les étudiants sont souvent très impliqués lorsqu'il s'agit de créer. S'ils sèchent les cours c'est bien pour l'investir dans leur association ou sur leur projet en équipe.

De nombreuses réactions vont dans ce sens dans le brainstorming :
"Le métier d'ingénieur est de proposer des solutions techniques pour résoudre un problème (structure, modèles mathématiques, produits financiers, pièces d'industrie). Des projets de "prototypage" sensibiliseraient les élèves à ce qui fait leur force."  - Thomas P. , Paris, France
"Inciter les jeunes à s'investir dans des projets personnels visant au développement de méthodes, de techniques, de matériel et au mieux de concepts, en particulier lorsqu'ils abordent des domaines peu connus." - Renaud , Ipswich, MA
"Réaliser des projets concrêts pour des entreprises au cours de la formation (l'école ou l'élève peuvent éventuellement toucher de l'argent pour ça)" - Clément , ENAC
"Favoriser les projets aux devoirs sur table (voire leur remplacement) dans certaines matières où la finalité n'est pas de produire en une heure chrono (e. g. informatique-développement)" - BRICK , Evry, France
"Favoriser l'implication dans des clubs sportifs et/ou des associations (Bureau étudiant, association humanitaire, développement durable, Junior-Entreprise, etc...)." - Kevvv , ENAC

De manière plus générale, à quoi bon apprendre pour un examen? Les informations mal emmagasinées sont aussitôt oubliées. Et pourquoi subir des cours qui gavent de données sans application et sans liens les unes avec les autres? L'argument d'expliquer que ces informations risquent d'être utiles plus tard est fallacieux : les étudiants arrivent avec un bagage scientifique suffisant qui leur permet d'approfondir par eux-même n'importe quel sujet dont ils auraient besoin pour leurs futurs projets ou leur vie professionnelle. C'est encore plus vrai lorsqu'il s'agit de supports de cours lus par des professeurs qui "font leurs heures". Il ne faut pas nier que les conférences sur tel ou tel sujet permettent d'élargir les horizons et de donner des pistes, mais ce format d'enseignement plus léger et plus souple que les cours magistraux est sous représenté en école d'ingénieurs car il n'est pas adapté à la validation des connaissances.

Au contraire, lorsque l'objectif est de résoudre un problème concret dans le cadre d'un projet, l'étudiant va naturellement chercher l'information dont il a besoin. Sur internet, dans ses cours, auprès de ses professeurs il trouvera les réponses à ses questions. Ce processus fixe la connaissance et développe l'esprit d'initiative. L'objectif ayant du sens, il n'y a pas de frustration dans l'apprentissage.

Puisque (presque) tous les étudiants qui entrent en école d'ingénieurs en ressortent diplômés, ne serait-il pas possible de recentrer la formation sur ce qui compte vraiment et d'oublier les valeurs passées déjà critiquées il y a plus de 30 ans par Joël de Rosnay dans Le Macroscope lorsqu'il décrit les examens : "Examination: An initiation rite invented by adults, in the course of which the student demonstrates (so that he may quickly forget) what he has temporarily learned, in order to obtain in exchange a passport for entry into active life, called a diploma."

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